L’aide externe, aussi experte et bienveillante soit-elle, ne règle pas les problèmes car elle se réduit à une solution militaire ou humanitaire.

Dans un entretien à La Voix du Nord, Frédéric Thomas (chercheur au CETRI, le Centre tricontinental, spécialisé dans les rapports Nord-Sud) revient sur l’échec des interventions occidentales et la fragilité de pays placés sous dépendance.

 

Pourquoi reliez-vous l’échec américain en Afghanistan et en Haïti ?

 

« Avec l’Afghanistan et Haïti, deux catastrophes de nature différente, la puissance des images a permis de voir au même moment deux visages des États-Unis qui n’en font qu’un. Ils se donnent un rôle au niveau mondial qui sert leurs propres intérêts et place des pays sous état de dépendance. »

 

Que peut-on reprocher à ces politiques ?

 

« D’avoir une vision très militaire en Afghanistan ou très humanitaire en Haïti. Dans les deux cas, cela pose le problème de la gouvernance. Quand on met l’accent sur la sécurité ou l’aide extérieure, pour se prémunir de la corruption par exemple, on contribue à fragiliser plutôt que de construire. On le voit avec le retour des talibans en Afghanistan. 80 % de l’aide ne parvient pas aux organisations locales. En 2010, après le tremblement de terre en Haïti, on a trouvé ce mécanisme qui double les institutions et accroît les dysfonctionnements. »

 

Quels sont les intérêts américains dans ces pays ?

 

« En Afghanistan, c’était pour répondre aux attentats mais aussi à des questions de politique intérieure américaine, sans avoir le souci de régler les soucis locaux. En Haïti, c’est la même chose. Les Américains redoutent les flux migratoires haïtiens, continuent d’ailleurs les rapatriements, mais 80 % des exportations haïtiennes, notamment le textile, vont vers les États-Unis et une bonne part des importations haïtiennes est américaine. La dépendance des économies est totale. Leur problème n’est pas de régler les problèmes afghans ou haïtiens. »

 

Au Mali, la France s’aveugle-telle de la même manière ?

 

« Au Sahel, en Irak, on tire les sonnettes d’alarme. Une lecture des situations aussi militariste et décontextualisée favorise la montée en puissance des oppositions et la fragilisation des États. On envoie des renforts sans s’attaquer aux causes elles-mêmes. Et l’Europe s’aligne sur Washington, incapable de proposer des solutions alternatives et confrontée aussi aux questions migratoires. Son discours sur les droits humains ne correspond pas à sa pratique. »

 

La faiblesse des organisations internationales n’aide pas non plus…

 

« Les organisations internationales ne parviennent pas à coordonner l’aide. Leurs prérogatives finissent par desservir l’État, souvent absent, mais qui ne peut travailler lui-même sur la pauvreté, le travail, les services sociaux… L’aide externe, aussi experte et bienveillante soit-elle, ne règle pas les problèmes car elle se réduit à une solution militaire ou humanitaire. »

 

Faut-il réformer le mécanisme de l’aide internationale ?

 

« L’aide ne peut pas régler les problèmes sociaux et politiques profonds. Éviter de compliquer les situations serait déjà bien. Le sommet mondial humanitaire de 2016 a insisté sur la localisation : comment passer l’argent de l’aide aux organisations locales qui sont les plus légitimes. L’objectif est de 25 %, nous en sommes à 2 ou 3 %. Il faut renverser la logique qui reproduit les inégalités. »

 

3 September 2021

https://www.cetri.be/Afghanistan-Haiti-l-echec-des