Si elle suit le chemin actuel, l’Amérique latine s’éloigne, chaque jour davantage, des défis lancés par les Nations Unies pour éradiquer la pauvreté d’ici 2030.

Si elle suit le chemin actuel, l’Amérique latine s’éloigne, chaque jour davantage, des défis lancés par les Nations Unies pour éradiquer la pauvreté d’ici 2030.

 

« Nous ne sommes pas sur le chemin permettant d’atteindre les objectifs du développement soutenable pour 2030 », a déclaré le 7 mars au Costa Rica Amina Mohammed, n° 2 des Nations Unies (ONU).

 

La vice-secrétaire de l’ONU analysa la réalité continentale dans le cadre de la 5e réunion du Forum des pays d’Amérique latine et de la Caraïbe sur le développement soutenable (https://foroalc2030.cepal.org/2022/es), tenu dans la seconde semaine de mars dans ce pays centroaméricain.

 

Le Forum est le mécanisme régional établi en 2017 pour suivre l’implantation de l’Agenda 2030, une boussole élaborée par les Nations Unies pour orienter l’éradication de la pauvreté dans le monde.

 

Toujours plus pauvres

 

L’évaluation relativement pessimiste de l’ONU sur l’Amérique latine réitère les signaux préoccupants anticipés à la fin janvier de cette année. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe (CEPAL), 5 millions d’habitant-e-s de cette région sont tombé-e-s dans un état de pauvreté extrême en 2021, ce qui porte leur nombre à 86 millions de personnes affectées.

 

Dans son rapport annuel, Panorama Social de América Latina 2021, (https://www.cepal.org/es/publicaciones/47718-panorama-social-america-latina-2021), cet organisme régional soutient que, malgré la reprise économique de 2021, les niveaux de pauvreté estimés se sont maintenus au-dessus des indices enregistrés en 2019, reflétant la continuité de la crise sociale.

 

L’urgence sanitaire persiste, souligne le rapport, l’Amérique latine et la Caraïbe constituant la région la plus vulnérable du monde. Cette réalité pandémique se manifeste dans une crise sociale qui a élevé le taux de la pauvreté extrême, passant de 13,1 % de la population latino-américaine en 2020 à 13,8 en 2021.

 

L’Argentine, la Colombie et le Pérou ont connu les taux de croissance de la pauvreté les plus élevés, soit 7 %. Au Chili, au Costa Rica, en Equateur et au Paraguay, ceux-ci ont passé de 3% à 5%. En Bolivie, au Mexique et en République dominicaine, ils s’élèvent à moins de 2 %. Le rapport de la CEPAL signale le Brésil comme étant le seul pays de la région ayant vu diminuer la pauvreté en 2020.

 

Trois décennies de recul

 

Selon la CEPAL, en 2020, la région a connu une régression significative du combat contre la pauvreté pour la 6e année consécutive. Celle-ci a atteint des niveaux similaires à ceux des 27 années antérieures et la pauvreté générale se situe à un niveau similaire à celui de la décennie 2000.

 

Entre 2019 y 2020, le coefficient de Gini – utilisé à l’échelle internationale pour évaluer la répartition des revenus – a augmenté de 0,7%.

 

En 2020, la proportion des femmes sans revenus propres a aussi augmenté et les brèches significatives de pauvreté se sont maintenus dans les régions rurales, chez les peuples indigènes et les enfants.

 

La reprise économique de 2021, qui à l’époque a causé une certaine euphorie dans quelques pays latino-américains, ne fut néanmoins pas suffisante pour atténuer les profonds effets sociaux et sur l’emploi de la crise sanitaire, étroitement liés à l’inégalité des revenus, la pauvreté, le travail précaire, la vulnérabilité dans laquelle vit la population et les disparités significatives de genre.

 

L’insertion des femmes d’Amérique latine et de la Caraïbe à l’emploi a connu un recul de 18 ans. On prévoit qu’en 2022 cette participation atteindra seulement un taux de 51%, contre 73,8% pour les hommes. En résumé, cette année, une femme sur deux n’aura pas d’emploi. D’ailleurs, les femmes consacrent trois fois plus de temps que les hommes au travail domestique et aux soins familiaux non rémunérés.

 

Des solutions possibles, renforcer l’Etat

 

Avant la réunion du Forum du Costa Rica, la CEPAL a publié le 5e rapport sur le progrès et les défis régionaux de l’Agenda 2030 pour le développement soutenable en Amérique latine et dans la Caraïbe, volumineux document de 186 pages, avec un bilan préoccupant. Ce document relève qu’un tiers des mesures définies par les objectifs ont reculé dans ces dernières années  (https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/47745/S2100985_es.pdf?sequence=4&isAllowed=y).

 

Considérant le futur, la CEPAL part d’une critique historique : la combinaison de l’inflation et de la croissance réduite des années 1970 a mis fin au pacte social (d’inspiration keynésienne) incorporé au système monétaire et de change des institutions de Bretton Woods.

 

Une interrogation : le monde se trouve-t-il face à un moment historique où pourrait émerger un nouveau modèle social ? Avec les enseignements laissés par la crise de 2008, il se peut que la pandémie ait créé une conjoncture favorable à l’adoption de profondes réformes. La CEPAL conclut au recul de l’idée que le marché (avec quelques corrections ponctuelles des prix) suffirait à résoudre les problèmes. La politique publique – avec l’Etat comme orienteur stratégique – est au centre de la nouvelle vision. Les Etats doivent donc fortifier leurs capacités et renforcer la coopération dans le cadre du système international et régional. En même temps, ils doivent devenir plus transparents et disposés à rendre des comptes aux citoyen-ne-s. S’ils ne le font pas, ils ne pourront pas élabore et implanter des politiques menant à un nouveau style de développement.

 

– Sergio Ferrari, de l’ONU, Genève, Suisse

 

Traduction Hans-Peter Renk